Conférence de Benjamin Bayart à Pas Sage en Seine en 2014. Pour comprendre pourquoi la Fédération FDN a été créée !
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Transcription de la conférence
(cette transcription n'est pas complètement verbatim : l'oral a parfois été "lissé" pour un rendu plus "écrit")
[Slide Neutralité du net]
C'est un point essentiel. L'idée est : l'accès à Internet devient qqchose de relativement central, il y a une notion qui autrefois était une notion essentiellement technique qui est la neutralité du transporteur vis à vis du contenu, et qui est en train de devenir une notion beaucoup moins technique et beaucoup plus juridique - bien que je n'aime pas le terme - ou sociale, c'est-à-dire qui se met à avoir un rôle important dans la façon dont la société fonctionne. La neutralité du net c'est assez simple, c'est la notion qui veut qu'il n'y ait pas de discrimination sur le trafic de la part de la personne ou de l'entité qui transporte les données. Quand on a essayé de donner une définition juridique, on a gardé essentiellement quatre points clefs :
1) Le libre choix du terminal
Ça a l'air anodin de nos jours le fait que vous puissiez utiliser sur un réseau donné le terminal que vous voulez, c'est pas quelque chose d'évident. Et ça n'a pas toujours été : typiquement sur le réseau ADSL vous utilisez le modem que vous voulez, sur le réseau câble vous utilisez le modem que l'opérateur câble veut bien vous louer. Et vous ne pouvez pas acheter un modem de votre choix, le connecter au réseau et que ça se passe bien. Pas en France. C'est comme ça. C'est une source de problèmes parce que typiquement, si le modem qui vous est loué ne sait faire que modem routeur et ne veut pas faire modem simple, alors l'adresse IP publique ne sera jamais sur votre ordinateur, elle sera toujours sur la boiboîte du fabriquant. En termes de neutralité de l'accès au réseau, c'est pas anodin. Autre évidence, dans le terminal il y a les questions sur les mobiles. Est-ce que je peux librement utiliser mon téléphone sur n'importe quel réseau et est-ce que je peux librement utiliser n'importe quel téléphone sur le réseau auquel je me suis abonné ? Il a fallu une décision de justice pour que l'Iphone ne soit pas une exclusivité Orange - on oublie, ces détails-là ça date de plusieurs années donc on a oublié, mais il a fallu une décision de justice. C'est qu'il y avait un contrat d'exclusivité entre Apple et Orange. Donc la question de pouvoir utiliser le terminal de son choix est une question qui n'est pas aussi anodine qu'elle en a l'air, qui ne s'est pas toujours imposée comme étant une évidence, et qui ne s'impose toujours pas comme étant une évidence. En particulier au niveau européen, il y a des trucs très drôles.
2) Il y a le fait de pouvoir - je vais insister sur les verbes - *utiliser* et *fournir* les applications de son choix. Même dans le texte voté par le parlement européen on a réussi à faire passer cette notion-là assez facilement. C'est pas seulement le fait de pouvoir utiliser l'application de son choix, càd que vous ayez le choix entre la peste et le choléra, entre gmail et hotmail, entre Yahoo! et Bing, non : c'est le fait que vous puissiez utiliser et fournir l'application de votre choix ça veut dire que fournir une application, quelle qu'elle soit et quelle que soit sa forme, ce n'est pas une exclusivité réservée à quelques "happy few" qu'on va appeler éditeurs pour faire simple, c'est quelque chose que tout le monde a le droit de faire depuis son accès à Internet, si cet accès veut être qualifié de neutre.
3) Il y a le fait qu'il n'y ait pas de discrimination en fonction de l'adresse, et là, même chose, les textes que le parlement européen a votés - qui ne sont pas encore définitifs [note : on en est où ?], le parlement a un avis consultatif pour le dire poliment, il suffit que le Conseil ne soit pas d'accord et ça ne passera pas - pas de discrimination en fonction de l'adresse source ou de destination, cad que si vous voulez lire du mail, que ce soit chez gmail ou que ce soit sur votre boîte IMAP à la maison, il n'y a pas de raison que le trafic soit discriminé. il n'y a pas de raisons qu'il soit plus rapide ou plus lent sur l'un que sur l'autre.
4) Pas de discrimination en fonction du service utilisé, et en fait ça en termes de droit européen, c'est pareil, c'est le droit d'utiliser ou de fournir un service de son choix sans discrimination.
Ça a l'air assez technique comme ça, mais l'air de rien tout ça, ça correspond à des choses qui aujourd'hui font défaut chez la majorité des fournisseurs d'accès Internet. Cad que chez quasiment tous les fournisseurs d'accès Internet, on voit des filtrages sur un de ces critères-là.
Sur le terminal, je vous ai rappelé Orange exclusivité Iphone, sur les filtrages ou les nuisances liées à l'adresse, moi j'ai constaté que quand l'accès à YouTube marche mal sur mon accès fibre optique orange, c'est pas la fibre qui sature, et que curieusement quand le même accès YouTube je le fais passer dans un VPN via FDN ça marche tout de suite mieux. J'ai constaté le même problème certaines fois sur Torrent411, ça peut être bêtement des problèmes de routage, un routeur qui s'est cassé la gueule et du coup le trafic se porte pas bien et du coup en passant par ailleurs je contourne l'embouteillage - ou ça peut être moins anodin. Le filtrage sur les services, on a des exemples assez nombreux, c'est pas forcément du filtrage technique au sens empêcher, ça peut être des histoires de facturation : le méga octet vers YT depuis certains accès mobile SFR n'est pas décompté du volume que vous êtes supposé·e utiliser. Moi je croyais que ce qui coûtait le plus cher en mobile, c'était la vidéo parce que ça fait beaucoup de data, ça sature les antennes rendez-vous compte ma bonne dame, il faut réinvestir dans les infrastructures... - chacun sait, YouTube c'est pas de la vidéo. Voilà. Ça, c'est très simple, c'est du pur foutage de gueule.
Ça c'est une notion assez clef, et qui à mon sens est quelque chose d'important dans la compréhension de ce qu'on veut faire d'un accès Internet, la neutralité est une question clef.
À l'heure actuelle, la neutralité n'est pas une priorité des opérateurs. C'est au mieux, parmi les grands opérateurs pour le plus pointu d'entre eux sur le sujet, un argument marketing : chez OVH. Partout ailleurs, c'est juste un sujet auquel ils s'opposent en matière de lobbying auprès de toutes les institutions. Et ne vous faites pas d'illusions, une fois qu'OVH aura fait son trou dans le métier des fournisseurs d'accès internet, ils feront comme tout le monde. Pour le moment, ils font un peu autrement parce qu'ils espèrent décrocher des parts de marché.
Alors l'air de rien, là ce que je suis en train de vous lister, j'en ai pas parlé, c'est le pourquoi il faut faire du fournisseur d'accès Internet associatif. Parce que ça, lorsqu'on est une association loi 1901, il n'y a aucune raison qu'on se comporte mal. Il n'y a aucune raison que FDN passe un accord avec YouTube sur le dos de ses abonné·es. Nous sommes nos abonnée·es. Orange peut avoir un intérêt à passer un accord avec tel ou tel. Nous, on n'a pas d'intérêt à ça. L'actionnaire ne sera pas mieux rémunéré·e, ne sera pas moins bien rémunéré·e... Donc l'air de rien, c'est un aspect assez important.
[slide Vie privée]
Le deuxième aspect assez important, c'est celui qui relève de la vie privée. Il y a deux sources d'ennuis dans la vie privée : il y a les organismes privés et il y a les organismes publics. Dans organismes publics on va faire simple, pour les gens qui ont un tout petit peu suivi ces dossiers-là, c'est ce qu'a sorti Edward Snowden et c'est la question de la NSA, que vous pouvez transposer dans tous les pays du monde. Les pouvoirs publics en général abusent des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi et ont tendance à se comporter n'importe comment. Ça fait très longtemps qu'on le sait chez les informaticiens, ça fait longtemps qu'on le sait dans le milieu associatif autour d'Internet, ça fait peu de temps que la majorité de la population est au courant, et ce que je constate, c'est que ça n'a pas encore suffisamment percolé pour que les gens comprennent. Et intègrent ça dans leur façon de se comporter. Des abus des pouvoirs publics, je vais en lister très rapidement, il y en a qui sont évidents parce qu'on a lu quelques articles autour des révélations d'Edward Snowden : les services de renseignement ont accès à une quantité phénoménale de données et tendent à espionner tout le monde en permanence et à archiver en permanence le fruit de cet espionnage. Ça peut prendre d'autres formes. Je vous donne un exemple très simple : pendant très longtemps les réquisitions judiciaires étaient mal faites en France sur tout ce qui concerne l'accès aux données autour d'Internet et donc, deux fois sur trois, quand un policier voulait accéder à une information, que ce soit les logs d'un site web, que ce soit qui est l'auteur de tel commentaire etc. etc. il rédigeait sa réquisition selon un formalisme qui n'était pas le bon ; il invoquait des articles de lois qui n'étaient pas les bons, et on a vu des procédures vraiment abusives. Alors c'était il y a très longtemps, ça se fait moins maintenant parce que maintenant, les hébergeurs et les fournisseurs d'accès sont un peu plus rôdés, du coup les policiers sont un peu plus rôdés et ils ont des procédures établies et quelqu'un qui essaie de sortir des clous n'y arrive plus, mais il y a, quoi, encore une dizaine ou une douzaine d'années, il arrivait que les renseignements généraux viennent demander des informations sur, par exemple un opposant à, je ne sais pas, moi, n'importe quel dictateur ami, genre je ne sais pas, le roi du Maroc, copain de la France depuis toujours, les opposants au roi du Maroc ils avaient une certaine tendance à héberger leur site web en France plutôt qu'au Maroc, hein, pas fous, et on avait régulièrement des policiers des renseignements généraux qui venaient poser des questions indiscrètes et qui venaient bien évidemment sans mandat d'un juge, qui venaient bien évidemment en dehors de toute procédure légale et s'ils avaient essayé de venir dans le cadre d'une procédure légale, ils n'avaient pas de base juridique. Ça ne se produisait pas toutes les semaines non plus, mais ça se produisait. Donc ce n'est pas que le côté "espionnage systématique". Il y a d'autres atteintes comme ça, et en fait, l'air de rien, pour l'hébergeur ou pour le fournisseur d'accès standard, répondre aux réquisitions judiciaires c'est juste chiant. Du coup, il faut que ça se fasse le plus vite possible, que ça n'empêche pas le fonctionnement habituel, donc on répond toujours, on ne fait pas le tri, on envoie tout ce qu'on peut comme info et on essaie surtout pas de trier et de chercher à quoi les policiers ont le droit ou pas d'accéder, et c'est une des différences énormes entre une association et une entreprise. Une association va avoir une approche beaucoup plus militante, ce qui ne veut pas dire s'opposer aux requêtes de la police, ça ce ne serait pas une bonne idée, ça s'appelle une association de malfaiteurs en ce cas-là, c'est très dangereux ; mais simplement, quand la police pose une question, vérifier. Vérifier qu'elle a le droit, que c'est bien dans le cadre d'une procédure, que ce n'est pas complètement au flan, voilà : juste vérifier. Et en fait, le simple fait que ce soit une structure associative fait que la police va être obligée de se poser des questions pour envoyer sa réquisition et donc va le faire mieux. Plutôt que d'envoyer ça dans la moulinette à faire trois mille réquisitions par jour chez Orange, ils vont être obligés de réfléchir un peu et donc si la demande n'est pas légitime elle ne passera probablement pas.
Et puis, il y a tous les abus du privé. Il y a ceux dont vous avez conscience et il y a ceux dont vous n'avez pas conscience, je suis plutôt devant un public de geeks donc je ne vais pas vous rappeler les évidences, le petit machin comme ça de chez Facebook qui s'affiche sur n'importe quel site web il vient vraiment de chez Facebook donc, que vous ayez un compte chez eux ou pas, ils savent vraiment tout ce que vous avez vu comme sites web, et dans quel ordre. Puisque, à chaque fois, votre navigateur fait la requête qui va bien chez eux, pour récupérer quelques lignes de javascript et un bout d'image à la con, et donc, de manière systématique ils ont la trace du fait que vous êtes passé·e sur telle ou telle page, vous y êtes resté·e tant de temps, vous y avez fait telle ou telle chose, etc. etc. Il y a une quantité de données sur vous qui est délirante et alors là, pour le coup, que vous soyez chez un FAI associatif ou pas ne change rien. Il y a quand même une quantité fabuleuse d'informations dont votre fournisseur d'accès Internet dispose. Comment expliquer ça... Il y a des fournisseurs d'accès Internet qui rajoutent de la publicité dans les pages web - ou en enlèvent, hein, c'est pas mieux. Qu'on enlève ou qu'on ajoute du contenu, c'est le même problème. C'est mon site web, il y avait de la pub dedans, je voulais la voir, il y avait plein de sites pornos intéressants, et on les a enlevés, du coup je ne les découvrirai jamais.
Donc voilà, c'est quand même un truc dingue. Ça, ça démontre par l'exemple le fait que les fournisseurs d'accès Internet ont un pouvoir d'accéder à l'information et ont un pouvoir de manipuler l'information. Ils représentent une nuisance possible. Tant sur ce qui concerne votre vie privée, cad qu'ils sont capables de dire quel moteur de recherche vous utilisez, ils sont capables de dire à quelle heure vous vous levez, à quelle heure vous vous couchez, quel volume de porn vous récupérez tous les soirs... Du coup, quand le geek a une copine on constate que le volume de porn baisse, ou l'horaire se décale, on est capables de faire des mesures comme ça assez simples. Le fait qu'un protocole soit chiffré ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'information. En regardant le graphe de consommation de bande passante d'une ligne ADSL, je peux vous dire à quel moment il a lancé le téléchargement en bitTorrent de ce qu'il voulait regarder, ça se voit. La forme du trafic sur un téléchargement bitTorrent, c'est une forme très particulière et ça se repère. Les FAI savent repérer ça assez facilement, sans avoir besoin de regarder le contenu. La simple forme du trafic permet de le faire. C'est comme ça par exemple qu'un câble opérateur dont je ne donnerai pas le nom en France, à une époque dégageait ou ralentissait terriblement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du peer-to-peer. Juste en reconnaissant la forme du trafic et en shootant deux paquets sur trois je crois de mémoire, ça suffit à bien bien ralentir. Donc voilà :les sources d'atteinte à la vie privée sont assez nombreuses, et là encore il y a un élément structurel intéressant - qui parmi vous a un abonnement téléphonique quelconque ? Et qui parmi vous, sur cet abonnement téléphonique, a déjà été contacté par quelqu'un qui voulait lui vendre quelque chose ? Comment ont-ils eu votre numéro ? Par l'opérateur. Et, ça, typiquement, un fournisseur d'accès Internet associatif ne le fait pas. Non, ce n'est pas seulement parce qu'on ne fait pas de téléphone... D'abord on a failli faire du téléphone et même si on en faisait, c'est simplement parce que le mode de fonctionnement n'est pas le même. Quand tel ou tel opérateur a l'opportunité de gagner un peu plus d'argent, même pas forcément beaucoup, un peu. Quand tel ou tel opérateur a l'opportunité de gagner un peu plus d'argent, il le fera. Si ce n'est pas illégal et dangereux - j'insiste bien sur "et" - il le fera. Si ça n'est que illégal mais pas dangereux pour lui, il le fera aussi, si c'est très dangereux pour vous mais pas illégal il le fera. Mais c'est normal, c'est structurellement normal. Une association loi de 1901, quand elle ne gagne pas assez d'argent, elle convoque ses adhérents en assemblée générale, et elle dit : camarades, nous allons augmenter les tarifs. C'est aussi simple que ça. Je ne sais pas si ça s'est déjà produit dans d'autres fournisseurs d'accès internet de la fédé que FDN qui est le plus ancien du lot, mais c'est déjà arrivé dans FDN qu'on doive, en Assemblée Générale, voter une augmentation des tarifs, il n'y avait même pas unanimité, il y avait des adhérents qui s'y sont opposés et bon voilà, on traite. On est passé de déficitaire à bénéficiaire avec cette méthode de dingue.
[slide Fracture numérique]
L'autre élément, qui pour le coup correspond moins à l'historique de FDN, quoique, si : le vrai historique, l'ancien... Il y a deux natures de clients qui ne sont pas desservis par les fournisseurs d'accès Internet habituels, il y a tout ce qu'on appelle vulgairement les "zones blanches", c'est en fait tout ce qui est trop rural, les bouts de ligne ADSL où il y a un débit pourri voire pas de débit du tout, dessservi par les corbeaux, la 4G peut-être un jour mais pas avant 2020-2025... Ces zones-là l'air de rien en France ça représente, alors pas un très gros volume de personnes, mais un grand nombre de cas particuliers et ça finit par faire. Et puis, il y a les clients pas intéressants, les clients trop compliqués, il y a pas mal d'exemples comme ça : les squats, c'est toujours le bordel de fournir un accès Internet dans un squat, les clients qui sont dans des situations un peu bizarres, qui déménagent tout le temps, qui ne veulent pas prendre un engagement de 24 mois puisque de toute façon ils ont leur piaule d'étudiant pour 9 mois. Ils veulent bien payer les frais d'ouverture ou de fermeture de la ligne, juste ils ne peuvent pas prendre un engagement de 24 mois. Voilà, il y a tout un tas, comme ça, de cas particuliers, que les grands opérateurs ont beaucoup de mal à traiter, et n'ont pas envie de traiter, et on voit dans la Fédération, dans le regroupement des fournisseurs d'accès associatifs, des associations qui savent faire un certain nombre de choses. Voilà en gros s'il n'y a pas d'Internet chez toi et si tu veux que ce soit fait, fais-le. En anglais ça fait plus joli mais bon, voilà. "Si tu veux que ce soit fait, fais-le" ça c'est plutôt un principe qui vient en général du logiciel libre mais qui s'applique beaucoup dans ce que fait la Fédération FDN, on a pas mal d'opérateurs qui fonctionnent comme ça, et qui arrivent à faire des choses.
[slide DIY ISP]
Et du coup la transition vers le Do It Yourself ISP est presque évidente. Comment on fait un fournisseur d'accès associatif, qu'est-ce que c'est que cette affaire-là.
Il y a quatre problèmes à résoudre pour faire un fournisseur d'accès associatif ; à mon sens le plus compliqué c'est celui-là : il faut faire une association. Et en fait pour faire une association qui marche, il faut des gens, plusieurs - cad à un on n'est pas une association ; à un on est un branleur ou on est un génie ou on est un ce qu'on veut, mais pas une association. Une association c'est à partir du moment où on est plusieurs et où on travaille ensemble. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles c'est moins efficace, et il n'empêche que c'est la seule manière d'obtenir une structure pérenne. Réussir à avoir une association ça suppose d'être deux, trois quatre, une équipe de départ, suffisamment soudée pour pas se taper dessus et avec envie de faire des choses, et après ça se déroule. Mais ça, c'est l'élément le plus compliqué en fait. C'est cet élément-là qui pose des problèmes. Typiquement, dans les zones où il n'y a pas de fournisseur d'accès associatif, le point bloquant est quasi systématiquement le fait qu'il n'y ait pas le petit groupe de quelques bénévoles pour faire tourner la structure. Et ça, ça bloque très facilement. Je donne des exemples très bêtes, on pourrait faire des choses formidables en matière de fibre optique dans le département de l'Ain ; il y a des opportunités formidables [mettre une note d'update ?] juste on a regardé, il n'y a pas d'adhérent FDN dans l'Ain et on n'a pas encore trouvé les cinq ou six qui avaient envie de monter une structure. Peut-être que ça viendra parce que j'en parle, mais voilà, il y a moyen de faire des choses formidables sur la fibre optique dans l'Ain, et on ne fait rien. Le deuxième élément, c'est l'élément technique. Il y a du savoir-faire technique dont il y a besoin. Les cas sont extraordinairement différents d'une association à l'autre. Autant il y a cinq ans quand je faisais les premières présentations sur le sujet je ne pouvais citer que le cas de FDN, autant maintenant je m'appuie sur un peu plus de cas et c'est hyper différent d'une structure à l'autre. Il y a des associations qui ne font pas de technique, où le plus technique de ce qu'ils font c'est facturer leur abonné·es ; toute la technique : réseau, routage, adressage, authentification etc. est traité par FDN. Et à l'opposé, il y a des adhérents qui font - enfin, il y a des... oui des adhérents, vu d'une Fédération ça reste des adhérents, il y a des associations adhérentes qui à l'extrême opposé font tout elles-mêmes, y compris leur propre boucle locale. Sames Wireless, qui était l'association qui hébergeait l'Assemblée Générale de la Fédération cet été, opère sa propre boucle locale radio et couvre 130 ou 140 abonné·es dans le village où ils sont ; ils sont arrivés dans le village plusieurs années avant l'ADSL et quand l'ADSL est arrivé ils n'ont pas perdu d'abonné·es ; ce qui est pour moi un signe assez fort, du fait que ça fonctionne. Quand l'ADSL est arrivé dans le village, quand Orange est venu installer le nécessaire pour qu'il y ait de l'ADSL dans le village, les gens ont à peu près pas bougé. Simplement parce qu'il y avait déjà du réseau qui marchait. Ça c'est le troisième aspect, c'est le fait qu'on ne peut pas piloter des problèmes de terrain à distance. On a eu le cas, assez régulièrement, de gens de telle ou telle région qui nous contactaient en nous disant : ah, est-ce qu'il y a quelque chose par chez moi etc., l'exemple-type quand on a commencé à réfléchir à comment faire de la fibre optique ou bêtement quand FDN a annoncé en 2005 qu'elle allait faire de l'ADSL, on a été contacté par des gens des DOM-TOM, qui nous disaient ah, en Guadeloupe ou à la Réunion, c'est la misère, il n'y a rien qui marche, c'est tout hyper cher, c'est du vol, etc. etc. on aurait bien besoin de vous ; et quand on leur disait ben nous on peut pas piloter ça depuis Paris, ça n'a pas de sens, en général il n'y avait plus de réponse ; nous, le mail de réponse c'était : on ne peut pas piloter depuis Paris, c'est débile, mais si vous voulez le faire on peut vous aider, et là, rien. Ça c'est un truc qui est certain. J'ai essayé, je sais que je ne suis pas le seul, de monter des choses sur des terrains sur lesquels je n'étais pas présent, par exemple d'aller opérer de la fibre optique sur des réseaux intéressants dans telle ou telle région, où juridiquement il y avait tout pour le faire, simplement quand on n'est pas sur le terrain pour aller emmerder monsieur le Maire, pour aller voir les gens, juste par mail et par téléphone ça ne fonctionne pas. Ça finit par ne pas fonctionner. Il faut à un moment être capable d'aller voir les gens ne serait-ce que pour les engueuler lorsque ça n'avance pas. Et puis, le quatrième élément et c'est à mon sens le plus simple, ce sont les éléments juridiques cad que pour être un fournisseur d'accès Internet il y a deux ou trois contraintes il faut déclarer l'association loi de 1901 auprès de la préfecture du bled, il faut la déclarer auprès de l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes, c'est à peu près tout, c'est de la paperasse, c'est pas compliqué ; il n'y a quasiment rien de payant là-dedans, le plus cher ça doit être la publication au journal officiel, si vous en souhaitez une, qui est à 23 euros si ma mémoire est bonne [update ?] ; ça doit être le plus gros des dépenses en termes juridiques. Donc faire un fournisseur d'accès associatif c'est pas très compliqué. Globalement, il faut une poignée de personnes motivées, décider d'une solution technique, quitte à ce que la solution soit de ne pas faire de technique, ce qui est tout à fait possible, si vous voulez faire des choses sur le terrain type boucle locale radio etc. il faut être du coin, vous ne pouvez pas opérer à distance, ça ne marche pas ; et puis il y a deux ou trois contraintes juridiques. Mais le juridique est vraiment le plus facile dans le lot.
[slide L'histoire]
Bien. Si j'essaie de retracer un petit historique de la fédé - alors il y a une chose qui est dangereuse en termes de vocabulaire, c'est la différence entre FDN et la Fédération FDN. FDN c'est pépé, c'est une association, c'est le plus vieux fournisseur d'accès Internet encore en exercice en France, et c'est parce que FDN grossissait un peu trop qu'on a décidé en 2010 de lancer une stratégie d'essaimage. Et c'est donc à cette époque-là qu'il y a eu une conférence qui doit s'appeler Do It Yourself ISP, à laquelle beaucoup de gens avaient assisté mais qui avait eu assez peu d'effets, elle a été reprise plusieurs fois derrière, jusqu'à ce qu'en 2011 on décide qu'on avait trouvé le nécessaire pour créer la fédération, on était 7 associations à l'époque.
Alors juste pour vous donner une idée, j'ai recollé quelques dates historiques, préhistoire des internet français : création de FDN c'est avril 1992, création de wanadoo c'est 1995 et l'arrivée de Free sur le marché ça doit être 1997 donc voilà, ça se sont les petits jeunes. Le point bas de l'association, le moment où ça allait le plus mal et ça aurait pu disparaître, c'était à peu près autour des années 2000, puisqu'on continuait à fournir de l'accès bas débit payant dans un environnement dans lequel il y avait de l'accès ADSL moins cher que ce que nous on demandait pour le bas débit. Donc on était plutôt dans un environnement hostile. Et en fait le moment où on a décidé de lancer l'essaimage c'est quand on a dépassé les 250 adhérents et où ça commence à faire beaucoup [Note : FDN compte désormais plus de 750 adhérent·es...]. C'est pas qu'on ne veut plus d'adhérents c'est que 250 c'est trop, ça ne permet pas de mobiliser. Avec 10 associations vous aurez 10 équipes de 5 à 10 personnes qui font les choses donc vous aurez entre 50 et 100 bénévoles qui bougent. Avec une grosse association vous ne pouvez pas faire bouger 100 bénévoles c'est quasiment infaisable. Il faudrait des salariés à plein temps pour les gérer. C'est typiquement le problème des Restos du Cœur si vous voulez ; il faut une logistique à plein temps pour gérer ça, c'est un truc de dingue. Avec 10, 15, 20 structures associatives on fait bouger beaucoup plus de monde parce que chaque petite équipe est autonome. Et bien évidemment du coup ça veut dire qu'on ne pilote rien et qu'il y a un côté assez bordélique, moi j'aime bien. J'ai réactualisé ce matin les diapos et sauf erreur de ma part on en est [en 2014] à 28 associations et 1800 personnes [rajouter update 2020], ce qui veut dire qu'on reste sur un rythme de à peu près 7-8 associations par an. On est même une association internationale maintenant puisque sur les 28 membres il y en a un qui est en Belgique et qu'on était déjà intercontinental puisque Igwanet c'est en Guyane si ma mémoire est bonne, donc on est déjà sorti du continent européen, mais on était resté en France, et là on est sorti de France mais on est resté en francophonie on est chez les Belges.
Sur les 28 associations il n'y en a pas deux pareilles, toutes les associations ont des modes de fonctionnement différents et c'est plutôt bien. Ça donne des choses très bizarres, il y a des associations qui font de l'ADSL [??? du wi-fi plutôt] de manière hyper locale. Sames Wireless ils couvrent un village ; ils sont allés chercher quelques hameaux paumés autour du village, mais plus loin dans le département, il n'y a pas d'accès Sames Wireless. PCLight, dans l'Yonne [faire une note update PCLight/SCANI ?], pareil, fait du wi-fi pour apporter de l'accès internet en reliant tout ça à des lignes ADSL plus loin dans le département - je crois que la liaison la plus longue fait plusieurs dizaines de kilomètres et le réseau a 250 km d'envergure, cad ça fait un bon moment qu'ils sont sortis de l'Yonne. Ils sont en train de faire le tour de l'Île de France et je pense bientôt il y aura des accès dans Paris. Donc voilà. Eux, à l'opposé, ils ont un réseau qui est hyper étendu, ils vont régulièrement chercher un petit paquet de 5-10 personnes dans un trou paumé où il n'y a rien en matière de réseau, ils fabriquent le petit bout qui faut, donc deux-trois antennes etc., et puis un pont wi-fi de quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres pour aller se raccrocher à leur réseau et le réseau s'étend.
[slide Fonctionnement]
Sur le fonctionnement de la Fédération. Il y a quelques éléments qui sont en fait des contraintes qu'on impose aus associations qui veulent devenir membres ; d'abord il faut que ce soit des associations loi de 1901 [note update : ça a été changé depuis, afin de permettre l'entrée de SCANI (?)], on a longuement hésité à l'époque où on a rédigé les statuts à savoir est-ce que c'était que les associations ou n'importe quelle structure sans but lucratif, pour rendre ça lisible on a dit association, bêtement parce que sinon juridiquement on ne s'appelait plus une fédération, on s'appelait autrement, et du coup ça devenait compliqué de rendre le truc lisible. Donc ce sont des fournisseurs d'accès internet associatifs. Pour ceux des fournisseurs d'accès internet qui ne sont pas associatifs mais qui sont suffisamment proches, parce qu'il y a d'autres formes d'association que la loi 1901 sans but lucratif, typiquement la SCIC (Société Coopératice d'Intérêt Collectif), les GIP (Groupements d'Intérêt Public) sont également des structures sans but lucratif. Donc voilà, il y a d'autres formes juridiques qui peuvent être sans but lucratif, il y a même des entreprises qui sont suffisamment proches de ce qu'on fait pour qu'on puisse accepter de les considérer comme étant des nôtres, et pour cela on a un statut qui s'appelle le statut de correspondant. Ils ne sont pas membres de la Fédération parce que ce ne sont pas des associations, mais ce sont des correspondants. En fait quand une structure ne rentre pas dans un des critères, et qu'on est suffisamment copains et qu'on bosse ensemble on appelle ça un correspondant.
Le premier élément pour être membre de la Fédération FDN, il faut que l'association soit gérée par des bénévoles [quid de SCANI où il me semble qu'il y a une personne salariée ?]. On n'a rien contre les associations qui ont des salarié·es, c'est très bien, ça arrive à des gens très bien, ce n'est juste pas le modèle de FDN. Le modèle de FDN c'est faites votre réseau, faites votre accès Internet. Si l'idée c'est fabriquer votre morceau d'Internet, ça veut dire que vous n'êtes pas payé par votre voisin pour le faire. Donc voilà, l'idée c'est que la structure soit bénévole. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a jamais de rémunération pour rien. Je donne un exemple très simple, un FAI qui fait de l'accès en wi-fi, à chaque fois qu'il y a un abonné il faut aller faire une installation, mettre un mât sur le toit, une antenne, aligner tout ça, ben soit l'adhérent sait le faire et l'adhérent le fait tout seul, soit l'adhérent ne sait pas le faire. Et si l'adhérent ne sait pas le faire et paie l'autre adhérent pour le faire, en fait ça ne regarde pas l'association et c'est tout à fait valable, ça n'a rien à voir avec la notion de bénévole et de gestion des intéressés.
Donc ça c'est la première contrainte.
Ensuite, c'est un effet de bord, tous les fournisseurs d'accès internet membres de la fédé sont différents et pour le coup, j'ai arrêté d'essayer de faire une typologie parce que j'étais arrivé à deux grands types : il y a les gens qui font du wi-fi, il y a les gens qui font de l'ADSl, et puis il y a les autres. Et comme il y a de plus en plus de zautres et que dans ceux qui font du wi-fi il y a de plus en plus de différences et que dans ceux qui font de l'ADSL il y a de plus en plus de différences, j'ai arrêté d'essayer de classer. Et puis après je suis embêté : il y a Tetaneutral, ils font un peu d'ADSL, beaucoup de wi-fi, 2-3 liens en fibre optique et puis un peu d'hébergement et puis... et du coup ça rentrait dans aucune de mes cases donc j'ai arrêté de faire des cases.
Il y a une solidarité, ça c'est dans les contraintes, cad il y a une solidarité entre associations, d'abord, elles s'entraident régulièrement, c'est même une obligation statutaire dans la fédé, cad que si l'une des associations était en difficulté grave, normalement les autres doivent lui porter secours ; dans la pratique le cas ne s'est pas encore produit, à part des pépins techniques et sur lesquels on a toujours trouvé des geeks dans les associations d'à côté pour venir aider. Mais surtout on demande que les associations membres aient dans leurs statuts ou dans leur règlement intérieur des clauses de solidarité entre adhérents. Sur le fait qu'au moins l'entraide entre adhérents soit bien vue au sein des structures associatives.
En général, ce sont des structures qui ont des compétences techniques. Ça c'est un élément intéressant, moi je pensais qu'il y aurait des associations non techniques. Je pensais voir émerger des associations par centres d'intérêt. J'imaginais voir apparaître un fournisseur d'accès Internet associatif qui s'adresse aux avocats, ou aux médecins, qui ont des contraintes très particulières en matière de confidentialité sur les données, en matière de chiffrement, en matière de problèmes sur les interceptions légales, etc. - c'est que l'air de rien, un cabinet d'avocat ça s'écoute pas tout à fait comme un clampin, ou avec les journalistes, qui devraient se poser des questions assez imortantes en matière de confidentialité des données et en matière de comment ils font leurs interviews. Les journalistes qui braillent sur le secret des sources et qui font leurs interviews par Skype, comment dire, je pouffe. Il y a contradiction dans les termes. Donc voilà, je m'attendais à voir apparaître ça et ce n'est pas le cas. Pour le moment ce n'est toujours pas le cas.
[interventions extérieures coupées]
Et puis j'ai été très surpris, parce que le principal critère de regroupement des associations, c'est que ce sont des associations locales. Je m'attendais à voir des regroupements différents - il y a FDN qui correspond à un public particulier, il pourrait y avoir d'autres associations qui opèrent au plan national sur des structures similaires à celles de FDN, il se trouve que ça ne s'est pas produit : toutes les associations qui se sont montées ont une composante géographique. je ne sais pas pourquoi c'est ce découpage-là qui a émergé mais visiblement l'attachement à la terre reste important dans l'imaginaire français.
[slide La charte]
Dans les éléments-clefs qui définissent la Fédération, il y a une charte adossée aux statuts, que tous les FAI membres doivent signer, alors pour ceux qui ont envie, tout ça est sur le site web évidemment.
Dans la charte, les membres s'engagent sur la neutralité, cad le fait que le réseau soit neutre c'est imposé par la charte et il y a même des éléments de définition assez clairs ; ils s'engagent sur le fait que ce soit géré par des bénévoles, s'engagent sur le fait que les abonné·es ont un droit de vote, quelle que soit la structure et la forme exacte que définit l'association, il n'y a pas d'abonné·e qui n'ait pas de droit de vote. Les dirigeants de l'association doivent être élu·es, il doit y avoir une partie sur la défense d'Internet, il y a une solidarité entre les membres de l'association qui est exigée, et entre les associations entre elles, et il y a des obligations de transparence, en particulier publication des comptes en Assemblée Générale, et transparence sur ce qu'on fait sur le réseau. Typiquement, s'il y a un filtrage qui est fait par l'opérateur, quel qu'il soit, il doit être annoncé aux adhérents, et les adhérents doivent le savoir. Typiquement, vous mettez un anti-DDOS, il est hors de question qu'il n'y ait que les adminsys qui soient au courant. Les gens doivent savoir, ils n'ont pas forcément beaucoup plus qu'un intérêt à le savoir, mais ça doit être dit.
[slide Rejoignez-nous - On passe aux questions.]