Par elzen le
Elzen, secrétaire de la Fédération FDN, est passé récemment dans l'émission « Le bénéfice du doute », de la Tronche en Biais, pour parler de neutralité du net, et de quelques autres sujets tels que les alternatives à YouTube. Ce qui suit est sa réponse (personnelle) à certains des – nombreux – commentaires reçus à cette occasion. L'émission est disponible sur Skeptikon, ainsi bien sûr que sur la chaîne YouTube de la Tronche en Biais.
Bonjour tout le monde !
D'abord, un peu de contexte. En plus de ma casquette (ou plutôt de mon chapeau ^^) de secrétaire de la Fédération, je suis co-administrateur de la plateforme de vidéos Skeptikon. C'est à ce titre que j'ai rencontré Acermendax, de la Tronche en Biais. Celui-ci souhaitait évoquer les alternatives à YouTube dans une de ses émissions ; mais envisageait également donner une suite à la « Tronche en Live » déjà réalisée sur la neutralité du net, qui avait malheureusement subi plusieurs problèmes techniques. Nous avons donc décidé ensemble d'évoquer ces deux thèmes simultanément.
Précisons, à toute fin utile, que le seul lien entre Skeptikon et la Fédération est le fait que je sois personnellement investi dans les deux associations. Les sujets évoqués dans l'émission sont suffisamment proches pour avoir été traités ensemble, mais ce ne sont, bien sûr, qu'une partie des activités de ces deux associations.
Une heure étant une durée relativement courte pour évoquer tout ce qui aurait pu l'être, j'ai dû, à de nombreuses reprises, me retenir d'entrer autant dans les détails que je l'aurais souhaité, et j'ai trouvé, en lisant les commentaires, de nombreuses demandes de précisions, en particulier concernant les fournisseurs d'accès associatifs. Je vais donc tâcher, dans cet article, de répondre aux quelques points qui sont restés un peu trop nébuleux.
(Pour les points qui concernent davantage Skeptikon, tels que les quelques témoignages de soucis techniques, n'hésitez pas à envoyer un mail sur l'adresse prévue à cet effet, on s'en occupera de l'autre côté).
Tout d'abord, plusieurs personnes ont manifestement ouvert la carte dont nous parlions, et constaté qu'il n'existait pas d'associations près de chez elles. Nous aimerions en effet qu'il existe des associations partout, mais nous ne pouvons pas les faire naître à distance. Cependant, les limites géographiques de la plupart de nos associations ne sont pas particulièrement strictes : s'il y a une association « pas trop loin », ça peut valoir le coup d'aller les voir. Au moins une de nos associations (FDN, celle qui a donné son nom à la Fédération) a d'ailleurs pour vocation de couvrir toute la France et constitue une option là où il n'y a pas (encore) d'association locale plus proche.
Mais, et c'est un mais d'importance, le fait qu'il n'y ait pas encore de FAI associatif près de chez vous ne veut pas dire que ça doit forcément rester le cas : vous pouvez participer à en créer un. Ça tombe bien, puisque plusieurs questions ont été posées à ce sujet.
Créer un fournisseur d'accès à Internet n'est pas aussi compliqué qu'on pourrait le craindre. Ça demande, certes, quelques compétences techniques, mais l'essentiel est surtout de l'investissement humain. Disons qu'il est préférable qu'il y ait au moins une personne déjà suffisamment calée en réseau dans votre équipe, mais que ce n'est pas obligatoire : pas mal de nos membres ont appris les choses « sur le tas ». Un des objectifs de notre Fédération est d'ailleurs d'aider à la création de nouveaux fournisseurs associatifs, et plusieurs personnes parmi nous se font un plaisir de partager leur expertise technique chaque fois que c'est utile.
La première étape est bien sûr de déclarer votre association en préfecture (un des commentaires s'interrogeait sur la pertinence de devenir soi-même son propre FAI : c'est peut-être envisageable, mais il est vivement préférable de faire ça à plusieurs, ne serait-ce que pour pouvoir s'épauler et partager les coûts). Ensuite, l'autorisation d'exercer une activité de fournisseur d'accès en France demande une déclaration auprès de l'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP). Nous donnons quelques informations sur la procédure dans notre Wiki.
Histoire de ne pas noyer le poisson, je ne vais pas détailler le reste de la procédure ici : commencez par ça, et, si vous avez besoin d'aide pour la suite, faites-nous signe pour qu'on vienne vous filer un coup de main.
Donnons quelques détails sur les différentes manières de raccorder les gens à Internet. J'en évoque rapidement deux dans l'émission : par les câbles téléphoniques, à l'ancienne, et par les ponts radios. Les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients : les câbles téléphoniques utilisent un réseau déjà en place, et permettent donc de raccorder facilement les gens, mais l'accès au réseau coûte cher et sa qualité dépend de la longueur de ligne – Ça marche plutôt bien dans les grosses villes, beaucoup moins dans les endroits où la population est plus éparpillée.
Les ponts radio, à l'inverse, doivent être installés par les membres de l'association, ce qui demande beaucoup plus d'énergie bénévole, et nécessite de connaître un minimum le terrain (raison pour laquelle c'est une activité qui reste plutôt locale). En revanche, ils coûtent beaucoup moins cher, puisque nous maîtrisons l'infrastructure, et permettent assez souvent d'amener de meilleurs débits que les câbles téléphoniques. Ils permettent aussi de mettre en place un réseau maillé, et donc mieux réparti. J'avais participé, avec quelques camarades du FAI dont je fais partie, à réaliser cette courte vidéo à ce sujet.
Dans les deux cas, il s'agit d'un accès « Internet uniquement » : aucune de nos associations, à ma connaissance, ne fournit de télévision ni de téléphonie (nous considérons, pour la plupart, que ce n'est pas notre job). Il existe cependant des fournisseurs spécialisés pour ces services, auxquels vous pourrez vous abonner à part. Il est également possible, et c'est le troisième grand moyen de raccorder les gens que nous utilisons, de garder une connexion « triple-play » chez un opérateur commercial (un de ces fameux « BOFS », par exemple), mais d'empêcher celui-ci de faire des bêtises avec votre Internet en utilisant un VPN.
Si vous arrivez sur cet article en venant de YouTube, vous avez sans doute déjà entendu ces trois lettres, peut-être associées à un point cardinal. La technologie de base est la même ; notre manière de l'utiliser est cependant assez différente : il s'agit pour nous d'un moyen de raccorder les gens à nos réseaux, pas de donner l'impression que vous êtes ailleurs dans le monde. Encore une fois, je ne rentre pas dans les détails pour ne pas perdre des gens, mais n'hésitez pas à poser plus de questions, ici ou auprès de l'asso la plus proche de chez vous.
Il reste la fibre optique… disons, pour faire court, que la situation est actuellement plus compliquée, mais que nous y travaillons (voyez par exemple notre baromètre FTTH).
Plusieurs personnes se sont manifestement demandé, en écoutant l'émission, s'il y avait véritablement des exemples d'entorses à la neutralité du net par les BOFS. La réponse, malheureusement, est oui.
Dans l'émission, nous évoquons un cas « litigieux » (l'opérateur n'agit pas spécifiquement pour dégrader les conditions, mais n'agit pas pour améliorer les choses alors qu'il le devrait). Mais il y a aussi d'autres cas où la faute a été beaucoup plus manifeste (par exemple celui-ci ou celui-là, pour ne mentionner que l'un des quatre).
Et puis (nous l'évoquons trop rapidement dans l'émission, faute de temps pour détailler la question), il y a les entorses « obligatoires » à la neutralité, comme les blocages de sites. Les BOFS sont tenus de bloquer certains sites (leur manière de faire rendant toutefois des contournements relativement simples aux personnes un minimum calées techniquement), mais cette obligation, curieusement, n'a jamais été portée jusqu'aux petits fournisseurs comme les nôtres.
L'un des commentaires fait remarquer, à juste titre, que la présence d'un juge ou pas dans l'équation est une question essentielle, surtout vis-à-vis de la question choisie en titre (« Qui contrôle Internet ? »). Il aurait sans doute fallu y consacrer une émission entière.
Sachez en tout cas que notre Fédération s'en préoccupe, et qu'une partie non négligeable de notre activité (aux côtés d'associations amies telles que La Quadrature du Net) est d'agir auprès des instances françaises et européennes pour faire retoquer les lois liberticides qui évacuent le judiciaire de ces procédures. Nous pouvons même nous vanter d'avoir obtenu quelques succès intéressants dans ce domaine, même si, hélas, c'est encore loin d'être suffisant.
Puisque nous en revenons à la question-titre : je m'aperçois, en réécoutant l'émission, que nous sommes passés beaucoup trop rapidement sur certains des points qui y répondaient. Toutes mes excuses.
Répondons-y donc maintenant : cela dépend de ce qu'on regarde. Si l'on considère « Internet » comme étant le réseau de réseaux (« interconnection of networks », en anglais, d'où le nom) que je décris rapidement dans l'émission, la réponse est que *personne* ne contrôle Internet, parce qu'Internet n'est pas « une » chose. Internet est le regroupement de plein de petites entités, chacune étant contrôlé différemment, et « contrôler Internet », ça voudrait dire contrôler cette myriade de petits machins qui dépendent de juridictions différentes, ont des structures différentes (nos petites associations sont des réseaux d'Internet exactement au même titre que les BOFS ou les GAFAM), etc.
Il existe, bien sûr, des « autorités » chargées d'établir les règles selon lesquelles tout ce beau petit monde arrive à se coordonner. Ce sont des entités, souvent en grande partie américaines, telles que l'IANA ou l'ICANN. Mais ces « autorités » ne contrôlent rien. Elles se contentent de définir la façon dont les différents réseaux sont censés communiquer entre eux, et chaque réseau décide, ou pas, d'appliquer ça, sans leur demander leur avis.
Ce mode de fonctionnement peut d'ailleurs présenter des inconvénients. Par exemple, il existe deux manières d'identifier les machines sur le réseau : une version avec des numéros plutôt courts (IPv4, pensez aux anciens numéros de téléphone à huit chiffres), et une autre avec des numéros plus longs (IPv6, comme les numéros à dix chiffres actuels). Le nombre de machines actuellement connectées fait que nous avons à peu près épuisé les réserves de numéros courts ; pourtant, beaucoup de réseaux traînent les pieds pour passer aux numéros plus longs, parce qu'il n'y a personne qui soit en situation de le leur imposer.
C'est pour ce genre de raisons que nous avons commencé l'émission en rappelant l'historique : Internet a été pensé pour être un réseau incontrôlable, et il l'est en pratique. Personne ne contrôle Internet.
Mais, et c'est un mais important, si on considère Internet comme étant ce que vous faites de ce réseau commun, alors il y a bien deux points qui peuvent être contrôlés : la ligne qui sert à vous raccorder au reste du monde, et celle de votre destinataire. C'est la raison pour laquelle les fournisseurs d'accès associatifs de notre fédération et les hébergeurs du projet CHATONS cherchent à vous donner le contrôle de ces deux points.
Plusieurs personnes ont tiqué, à juste titre, sur ce que je dis dans le bonus concernant le fait que les grosses entreprises, comme les GAFAM ou les BOFS, sont « les seules » en situation de déployer le réseau, et ce qui va avec. Vous avez tout à fait raison de dire que la puissance publique devrait pouvoir s'en charger. Force nous est hélas de constater qu'elle ne le fait que très insuffisamment.
Vous avez tout à fait raison de dire que l'on pourrait organiser la société différemment pour ne plus avoir besoin de ces gros opérateurs. Pas mal de membres de notre fédération, moi compris, considèrent d'ailleurs que l'un des aspects essentiels d'Internet est de permettre de réorganiser la société d'une manière un peu plus intéressante, notamment à ce niveau. Mais, hélas, ça n'est pas encore fait.
Ce que je disais dans ce bonus est « simplement » un triste constat sur la situation actuelle : en l'état, nous n'en avons globalement pas les moyens, et c'est pour beaucoup ces grosses entreprises qui s'en chargent (même si on peut noter certaines actions coopératives comme celle de SCANI, membre de notre fédération, ou de nos camarades catalans de Guifi.net). Toute personne souhaitant nous aider à y remédier est la bienvenue parmi nous.
P.S. : en relisant rapidement la liste des commentaires pour rédiger ce message, je remarque qu'une personne me reproche d'avoir souri en expliquant que le sigle et le développé de notre fédération ne se correspondent pas, et que ce serait la preuve du fait que nous préférons perdre les gens que de leur expliquer. Cette personne considère-t-elle que tout individu ayant une ligne chez SFR a d'abord eu besoin d'apprendre ce que ce sigle signifie ?
Le sigle et le développé de notre Fédération ne se correspondent pas. Je n'y suis pour rien – ça c'est décidé avant que je n'en fasse partie. Mais c'est comme ça, et j'ai pris la liberté de m'en amuser. Je conçois que ça puisse perdre des gens, même si ça a aussi l'effet inverse (les personnes qui connaissaient déjà FDN savent que nous sommes la fédération qui est autour, ce n'est pas si terrible).
Les personnes que ce type de détail chagrine peuvent toutefois se consoler en se disant qu'elles ne seront jamais abonnées auprès de la Fédération : elles seront, si elles le décident, abonnées auprès d'une des nombreuses associations qui la constituent. C'est là que tout se joue : au niveau où on peut établir des relations humaines.