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Le projet de loi Cazeneuve, dit « contre le terrorisme » est en cours de discussion, déjà voté à l'Assemblée et bientôt présenté devant le Sénat. Au prétexte de lutter contre le terrorisme et l'autoradicalisation des jeunes, ce dernier introduit quelques dispositions législatives que la Fédération FDN considère comme néfastes1.
La disposition la plus critiquée, en particulier par les membres de la Fédération FDN, est celle de l'article 9. L'idée est d'empêcher la consultation des sites qui font l'apologie du terrorisme, ou qui y incitent. Pour cela, on va faire établir par la police une liste des sites à censurer, et la transmettre directement aux fournisseurs d'accès, sans vraiment de contrôle indépendant. Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement essaye de mettre en place une censure, par les fournisseurs d'accès, de sites choisis par la police sans passer par la case "justice". C'est une constante depuis, au moins, 1996.
Le billet sur le blog de FDN rappelle pourquoi c'est une mauvaise idée. D'abord une mauvaise idée de vouloir faire faire du filtrage par le réseau. Ensuite de vouloir à toute force court-circuiter la justice.
Pendant les débats à l'Assemblée, le ministre de l'Intérieur a indiqué que les décrets d'application, qui précisent exactement comment va se passer ce filtrage sont déjà en cours de rédaction, que cette rédaction se fait avec la participation de fournisseurs d'accès (lesquels?) et que le finalisation se fera avec les fournisseurs d'accès. Sous-entendu, donc, tous les fournisseurs d'accès, pour la finalisation.
L'expérience nous a montré que la Place Beauvau a tendance à croire qu'il n'y a que 5 opérateurs en France, ceux cotés en Bourse.
Nous sommes fermement opposés à cette loi. Mais si elle est votée en l'état, et si les décrets d'application sont publiés, elle s'appliquera à nous. Et si tout est pensé pour ne pas déstabiliser le modèle d'affaires des grandes entreprises marchandes, il est probable que les contraintes spécifiques des petits acteurs (associations, TPE, PME, etc) ne soient pas prises en compte. Alors, quitte à ce qu'on nous applique une loi dont nous pensons qu'elle est mauvaise, qu'au moins elle ne nous mette pas trop directement en danger.
Bernard Cazeneuve ayant annoncé devant la représentation nationale qu'il travaillera avec les fournisseurs d'accès, nous lui avons envoyé un courrier pour lui indiquer que la Fédération FDN était d'accord pour participer à ces discussions, au nom des 26 fournisseurs d'accès qu'elle représente. Il y a 1635 opérateurs déclarés à l'ARCEP. Pour les 1600 restants, on fait confiance au ministère de l'intérieur pour choisir les bons contacts.
La Fédération FDN n'a pas de contact privilégié au ministère de l'Intérieur. Un simple courrier, adressé au ministre, envoyé par la poste, a donc toutes les chances de ne jamais lui parvenir. Alors, cette lettre sera une lettre ouverte.
Suit la retranscription de ladite lettre.
Monsieur le ministre,
Le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme vient tout juste d'être examiné et voté à l'Assemblée Nationale. Durant les débats, en réponse aux questions de la députée Laure de la Raudière sur l'article 9 du texte, vous avez indiqué que :
« Pour nous adapter à l'évolution très rapide des technologies, nous avons, au cours de l'été, soumis un projet de décret aux fournisseurs d'accès à Internet avec qui nous sommes en discussion.2 »
ainsi que :
« Nous attendons naturellement la finalisation du texte de loi pour achever ces discussions, ainsi que pour introduire des éléments concernant la subsidiarité et pour finaliser le décret concernant les sites pédopornographiques, de manière à disposer de l'ensemble des textes réglementaires --- y compris pour les lois précédentes --- et d'un dispositif maîtrisé au plan technologique, qui correspond à l'équilibre que nous voulons faire prévaloir. En somme, les libertés publiques sont notre objectif et l'équilibre du texte y répond ; par ailleurs, connaissant les avantages et les inconvénients de chacune des techniques de blocage, nous privilégions les dispositifs les moins intrusifs ; enfin, puisque nous voulons travailler en lien avec les fournisseurs d'accès à internet parce que ce projet de loi vise à les responsabiliser, nous préparons avec eux le texte des dispositions réglementaires pour aboutir à un dispositif équilibré qui tienne compte de nombreuses préoccupations exprimées sur ces bancs.3 »
Cette approche ouverte de vos services nous semble particulièrement bénéfique. Impliquer les opérateurs, à titre consultatif, lors de la préparation de tels décrets nous semble la meilleure méthode pour s'assurer qu'ils seront applicables sans surcoût excessif et de la manière la plus raisonnable.
Notre Fédération regroupe 26 fournisseurs d'accès associatifs, répartis sur le territoire français y compris en outre-mer, et en Europe francophone, tous inscrits en tant qu'opérateurs auprès de l'ARCEP en application de l'article L.~33-1 du Code des Postes et Communications Électroniques, ou satisfaisant aux obligations similaires quand elles sont établies hors de France. À ce jour, aucun de ces opérateurs n'a été en contact avec vos services, ni sur la préparation de ce décret, ni sur d'autres sujets d'ailleurs.
Il ne nous semble pas que la loi 2004-575 dite de confiance en l'économie numérique prévoit de régime particulier pour certains opérateurs ou de cas d'exemption des obligations légales. Il est donc particulièrement curieux que le travail de préparation se fasse exclusivement avec certains opérateurs, le critère de choix de ceux-ci n'étant pas clair pour nous. Tout nous laisse penser que seuls les 5 ou 6 grandes entreprises du secteur ont été consultées, laissant de côté les centaines de TPE/PME et les dizaines d'associations, qui sont elles aussi concernées. Nous trouvons étrange que, quitte à avoir choisi de ne consulter que quelques opérateurs, vos services aient choisi un si petit nombre d'entre eux, et si peu représentatifs de la diversités des acteurs en France.
Il est évident que vous ne pouvez pas recevoir les 1635 opérateurs déclarés auprès de l'ARCEP sur ce sujet. Cependant, un minimum de représentativité de la diversité de nos situations serait souhaitable. Une consultation ouverte à l'ensemble des fournisseurs d'accès déclarés en France serait, à notre sens, une bonne solution pour recevoir l'avis de tous, une fois que les travaux préparatoires seront terminés.
Votre déclaration à l'Assemblée Nationale a été particulièrement claire sur le fait que l'ensemble de fournisseurs d'accès à internet participeraient à la préparation finale du texte. Nous tenons donc à vous faire savoir que nous sommes à votre disposition pour participer à cette dernière phase de préparation.
Notre Fédération a précisément pour vocation de permettre une interaction efficace entre les différentes administrations, dont la vôtre, et nos associations membres. Ce fut par exemple le cas quand nous avons participé à la mission « Spectre » confiée par le ministère de l'économie numérique à Mme Toledano, ou lors de travaux avec la CNIL sur les obligations des opérateurs.
Vous en souhaitant bonne réception,
pour la Fédération FDN,
le Président,
Benjamin Bayart
- 1. cf. le communiqué de presse du 11 septembre dernier.
- 2. Source: Journal Officiel de l'Assemblée Nationale tel que cité par le dossier législatif en ligne sur le site web de l'Assemblée. Assemblée nationale, XIVe législature, Deuxième session extraordinaire de 2013-2014, Compte rendu intégral, Deuxième séance du mercredi 17 septembre 2014, http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014-extra2/20142012.asp#P306537
- 3. Même source